Scénariste (Danemark), qui a contribué à la conférence-table ronde 02 : “Des récits pour soigner ?“
[Podcast en anglais]
Julie Budtz Sørensen est diplômée de l’École nationale du film du Danemark en 2015. Elle est la scénariste principale de la série Viaplay Original WHERE WERE YOU? (HÅBER DU KOM GODT HJEM, 2022), inspiré de son podcast fictif DET MED LIV, pour lequel elle a remporté le prix de la meilleure série radio européenne au Prix Europe en 2018.
Elle a travaillé sur plusieurs séries télévisées, notamment dans l’équipe des scénaristes des Netflix Originals THE RAIN (2018) et CHOSEN (2022), en tant que coscénariste de la deuxième saison de LIMBOLAND (2020), ainsi que dans le cadre d’une mini-série à venir adaptée de l’autobiographie de Tove Ditlevsen, GIFT (DEPENDENCY).
Julie développe actuellement deux séries TV avec Nimbus Film et a un long-métrage en développement avec l’institut national du cinéma danois.
— une interview par Guillaume Desjardins, auteur-réalisateur membre des Parasites, enregistrée aux Champs Libres (Rennes) en décembre 2023 dans le cadre de la série “Quels récits pour notre temps ?”.
Julie Budtz Sørensen
« Ouvrir le monde des possibles »
À partir de, et depuis le Danemark.
Je viens du Danemark, je suis scénariste et je travaille sur des séries diffusées à la télévision et également sur des films. J’ai commencé à travailler dans le cinéma, à l’âge de 15 ans, dans ma ville natale, au Danemark, où j’ai fait partie d’un atelier et où j’ai pu réaliser mes premiers court-métrages. J’ai ensuite continué à travailler sur le cinéma, pendant mes études universitaires notamment de philosophie moderne en France, à l’université. J’ai ensuite été accepté à l’école de cinéma danoise – au sein de la sélection des futurs scénaristes. C’était une formation de deux ans, à l’époque. Depuis, je travaille dans l’industrie cinématographique danoise, en tant que scénariste sur des séries comme “The Rain” pour Netflix et également avec le cinéma. Autant pour les chaînes publiques danoises qu’avec l’Institut danois du film.
Des pas-de-côtés pour raconter la société.
J’essaie toujours dans mon travail d’impulser une valeur ajoutée à travers des « pas-de-côtés », surtout dans le cadre de formats destinés à la télévision. Je ne souhaite pas forcément révolutionner, mais au-delà du divertissement, j’ajoute une dimension sociétale. Dire quelque chose sur notre époque.
Croire en son idée et la déployer.
Quand j’ai une idée, je ne l’écris pas. Si je ne l’oublie pas, elle me revient, elle s’enrichit en ayant davantage de substance. Je ne pense pas à ce que les autres aiment ou aimeraient. Si je juge cette idée assez importante pour que je la raconte, alors je ne crains pas qu’elle soit dépourvue de sens : je veille à ce qu’il y ait le matériel suffisant, des personnages riches, pour la renforcer.
“When I get an idea I don’t write it down.
If it is not important, I think I will just forget it.”— Julie Budtz Sørensen —
Nos expériences pour nourrir les expériences des personnages.
Mes propres expériences me permettent, alors, à la fois d’enrichir l’écriture du récit et son ouverture.
Lorsque j’étais étudiante, je réfléchissais beaucoup à comment les cinéastes, que j’admirais, procédaient.
Aujourd’hui, je me nourris davantage de mes expériences de vie et de mes rencontres pour créer des histoires. J’ai travaillé pour d’autres créateurs en tant qu’autrice – dans le cadre d’épisodes précis d’une série, notamment – ce qui est complètement différent de la création de ses propres récits.
La collaboration dans la construction du récit.
Quand je travaille pour d’autres, nous passons beaucoup de temps à échanger, chacun apporte ses idées, mais c’est le créateur qui a la vision et nous l’aidons à la suivre.
Pour mes propres épisodes, quand il y en a peu, je préfère écrire moi-même, mais avoir le réalisateur très impliqué avec moi, pas en écriture, mais en partageant beaucoup de notes : nous les affichons sur un tableau et nous en discutons au sein du groupe, constitué de personnes qui ne sont pas nécessairement semblables car devant être capables de « se challenger ».
Le choix des personnes qui intègrent l’équipe de création est crucial. Comme pour le casting. La collaboration est très importante. Or, il peut être difficile de savoir au début avec qui vous pouvez travailler. Au Danemark, nous pouvons être au maximum cinq dans une pièce. Ailleurs, ils peuvent être 10 à 12 et chacun a un rôle très spécifique. Le plus important est de définir explicitement, au sein de ce groupe, les rôles de chacun ensemble et la responsabilité de celle ou celui qui crée – le reste de l’équipe l’accompagnant. Les membres de cette équipe de création doivent passer beaucoup de temps ensemble et être généreux dans le partage – ce qui compose leurs vies, leurs origines. Créer ensemble un récit commun nécessite de construire une relation collective.
Ouvrir le monde des possibles.
Un producteur m’a souvent répété qu’au début, « le monde des possibles » s’ouvre et c’est génial. Tu commences à écrire un synopsis et à définir un traitement de l’histoire, puis tu dois le vendre…
S’initie, ensuite, le scénario et on passe beaucoup de temps à le tester. Un de mes professeurs avait l’habitude d’appeler ces premiers jets : un « brouillon de vomi ». Ce premier brouillon dans lequel on écrit sans penser à la structure. Sans réfléchir.
Puis on filtre, ce qui est du registre trop personnel, ce qui est plus mauvais ou même incompréhensible. On décèle les points du récit qui constituent des scènes pouvant devenir la clé de l’histoire et, sur lesquels et autour desquels, on peut commencer à travailler.
Intuition et structure du récit.
Pour moi, chaque épisode doit comporter des scènes que j’aime vraiment, personnellement. Or, la phase de montage permet d’équilibrer le structurel et l’intuitif. Nous décelons rapidement ce que devraient être les scènes les plus importantes pour nous. Et je travaille souvent avec un cliffhanger (suspense) pour garder l’intérêt des spectateurs.
Le récit tel un jeu de pistes.
Dans le cadre d’une série, on peut davantage digresser, en suivant notamment un personnage plus qu’un autre, dans un épisode précis. C’est alors un jeu.
Quand nous, scénaristes – travaillons ensemble dans une writing room – aucun d’entre nous n’a la même idée de la structure : quel est le premier point de l’intrigue de l’histoire ? Le décider est, alors, un peu arbitraire.
Ce schéma permet de partager collectivement ce qu’est le premier tournant ou le point central de l’histoire. On constate alors ce qui manque.
Mais, cette structure est à considérer davantage comme une béquille, utile quand vous atteignez une sorte d’impasse. L’essentiel est de pouvoir connaître un maximum l’histoire de chaque personnage pour l’écrire, sans forcément trop se coller à un modèle de structure du récit.
Pour qu’il y ait histoire, j’ai besoin d’une sorte de dilemme, de paradoxe ou de conflit.
La prémisse.
Nous avons besoin, au plus profond de nous, d’une sorte d’ouverture sur le monde avec la volonté – souvent complexe – de transmettre un message. Même si ce message n’est pas clairement exprimé aux spectateurs, il s’incarne, en quelque sorte.
Et je ne pense pas que ce soit la même chose que la prémisse. Il est plus difficile de contourner cette prémisse.
“I guess there’s some kind of question you ask at the beginning of your story that has to be big enough to be explored from different perspectives. I think you need to know, deep inside of you, what is the message of your story.”
— Julie Budtz Sørensen —
Histoire & Collectif.
La prémisse peut nous dépasser. Après le montage et après la sortie de la série ou du film, nous sommes souvent surpris de la transformation de la prémisse. En lisant les critiques, nous sommes souvent surpris du retour des spectateurs, de leurs compréhensions et opinions. C’est un long processus collectif.
Lors de la création du scénario, il y a des temps d’affinage – du pitch à la finalisation – avec notamment le producteur et d’autres : des co-scénaristes, en quelque sorte. Le réalisateur ou la réalisatrice est le partenaire le plus important. Elle ou il dirigera les acteurs et grâce à l’échange, on nourrit le scénario avec une autre perspective que la mienne.
Être à l’écoute, questionner.
Nous pouvons également enrichir le scénario par les retours d’autres partenaires comme les financeurs.
Des questions peuvent paraître ennuyeuses mais la plupart – même si on peut les juger arbitrairement stupides – ont en elles, quelque chose de vrai. Ces questions mettent le doigt généralement sur des points, des directions que nous n’avons pas souhaité prendre et donc des manques potentiels. Être dans et à l’écoute est constructif.
Nous avons tendance à penser que nous savons tout de notre histoire, mais ce n’est pas le cas. Et plus on acquiert d’expérience, plus l’écoute et la prise en compte des avis extérieurs est précieuse dans le processus d’écriture.
Ouvrir la portée du récit.
Je pensais d’ailleurs que je ne ferais jamais de séries télévisées parce que je n’aimais pas ça ou parce que les séries télévisées que j’appréciais étaient très loin de ce que je voulais entreprendre.
Aujourd’hui, je sais ce que je veux véritablement : tenter de raconter quelque chose d’important, pour un large public et non pas seulement pour quelques-uns.
L’engagement du spectateur par la grammaire du récit.
En ce moment, je travaille sur une série, un thriller. Un thriller à une grammaire qui engage instantanément les spectateurs, à travers le crime et son histoire à suivre. La mise en lumière des personnages suit la résolution du crime qui est le moteur pour l’histoire. Les questions stimulent et créent l’intérêt : qui a commis le crime ? Que s’est-il passé dans le passé de la victime ? Quels mystères ? On raconte l’histoire via le suspense.
Les expériences intimes et collectives des personnages.
Ma série préférée est “Twin Peaks”.
De la simple question fil rouge – qui a tué la fille ? – les épisodes s’enchaînent avec les besoins du récit : quels suspects supplémentaires et leurs parcours de vie, quels mystères additionnels ?
Enrichir les expériences – tant intimes que collectives – qui seront données à partager dans le récit : c’est bien plus simple à intégrer dans une série à multiples épisodes.
Un peu d’arrogance et du partage pour donner vie au récit.
Acquérir un maximum d’expériences, en écrivant pour d’autres est fondamental. Quand j’étais jeune, j’ai réalisé des court-métrages, avec une certaine arrogance qui m’a permis de sauter le pas. Cette arrogance est en quelque sorte précieuse. À coupler avec de la bienveillance, du partage et de l’écoute.
Ressentir pour raconter.
L’idée principale du scénario doit être ressentie fortement en soi pour lui donner vie.
Que ce soit à propos de la mort ou de la survie ou de l’amour, entre une mère et son enfant, ou tout autre chose : vous devez le ressentir assez fort pour être capable de le raconter.
© Photos Brigitte Bouillot
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