Violette Garcia
Diplômée de la FEMIS en scénario en 2019, Violette Garcia a collaboré à l’écriture du prochain long-métrage de Pierre Schoeller, “Rembrandt”, avec Anne-Louise Trividic et Pierre Schoeller, et co-écrit le prochain film de Fabienne Berthaud, “Sauvagines”. Elle a également collaboré à l’écriture de “Retour à Séoul” de Davy Chou, et co-écrit “Homo Animalis”, de Jacques Mitsch, documentaire animalier sur l’être humain. Elle développe parallèlement des projets personnels dont un court-métrage pensé au sein du War on Screen Talent Lab de Châlons-en-Champagne, “MQ-9 Reaper, others may die”.
Passée, après un master de géographie, par le centre de recherche français de Jérusalem, elle a aussi écrit des documentaires pour des réalisateurs, principalement à destination d’ARTE. Si sa curiosité pour le réel, la géopolitique et l’actualité est réelle, elle est rendue possible et contrebalancée par son appétence pour les films de genre, la comédie et le polar, sans renier le fantastique.
— Dans le cadre de sa 5ème saison – l’équipe du StoryTANK a souhaité tenter une nouvelle expérience, sous la houlette de 6 chercheurs captivés et captivants. Il s’est agi de tester et filmer le surgissement d’idées de récits dans des dispositifs expérimentaux créés par LA FABRIQUE DES MONDES, dispositif unique en Europe qui se construit au Groupe Ouest depuis 2023, sous l’égide du Ministère de la Culture français.
L’expérience a été proposée à 6 scénaristes ou cinéastes, venus de 6 pays d’Europe. Le StoryTANK permet ici d’explorer et éclairer la pratique.
Décryptage, ci-dessous, par Violette Garcia, au fil de son retour d’expériences.
VIVRE LES PERSONNAGES POUR FAIRE VIVRE LE RÉCIT
«Si on veut (d)écrire des personnages, on doit les incarner.»
Si on veut (d)écrire des personnages, on doit les incarner. L’incarnation peut ouvrir tellement de possibles, à travers l’expérimentation foisonnante des caractéristiques du personnage
LA GROTTE
UNE IMMERSION COMPLÈTE DANS LE RÉCIT EN COMPOSITION
«La Grotte transforme même la façon dont on réfléchit, à travers nos corps : ce qui est essentiel dans le processus d’écriture.»
En partant d’une idée de film, d’une petite graine de l’ordre d’une scène, d’une image ou d’une situation, la Grotte joue parfaitement son rôle d’espace possible pour une immersion complète dans cette image ou dans cette situation. Nous nous sommes mis tout de suite à nous lever, nous baisser, nous déplacer : tout devenait évidemment beaucoup plus organique et vivant. Comment réfléchir à travers nos corps ? Pour moi, c’est assez essentiel dans le processus d’écriture.

LE PROCESSUS COLLABORATIF ET COMMUN DE L’ÉCRITURE
«Dans la Grotte, nous ne sommes jamais bloqué·e·s, ni écrasé·e·s par un mur.»
Souvent, je souffre d’être assise, d’être statique ou d’être uniquement face à un mur ou un tableau. Ça peut être très intéressant à certains moments du développement d’un film, mais ça peut être aussi complètement écrasant. Quand on est face à un mur, on est là, immobile, comme si quelque chose pouvait nous tomber dessus comme ça, or on n’a aucune solution. La Grotte, on peut entrer dedans, en sortir, ajouter des choses, on peut s’y promener. Nous ne sommes jamais bloqué·e·s, ni écrasé·e·s par un mur : l’élaboration du récit devient très vite collaborative et commune.
LA MULTITUDE ET LA PLASTICITÉ DES IMAGINAIRES
«Dans la Grotte, on spatialise le récit : on s’y cogne!»
La Grotte orchestre une dynamique d’horizontalité, qui nous permet de partager des choses, de mieux nous écouter, ensemble, sur un pied d’égalité. La Grotte génère une multitude d’imaginaires en spatialisant notre pensée, sans que nous ayons l’impression que les choses soient fixées, une bonne fois pour toutes, ou qu’il y ait une bonne ou une mauvaise façon de faire, puisqu’on peut toujours revenir, aller chercher un truc là-bas, le mettre à un autre endroit. La respiration se situe dans les corps, et aussi dans les images et les mots, le papier, les outils et tout ce que l’on manipule. Un moment fort de la Grotte, est quand nous sommes debout et que l’on suspend l’ensemble du matériel initialement disposé à terre. On se balade, alors, entre les personnages, on se met à suspendre ces choses, on spatialise alors le récit : on s’y cogne!

LA CHAMBRE NOIRE
LA SUBMERSION PAR L’ÉMOTION POUR LA PROJECTION DU RÉCIT
«Dans la Chambre Noire, on trouve les personnages!»
Dans la Chambre Noire, on trouve les personnages. Le son et l’émotion permettent une recherche organique notamment dans l’identification des personnages, à travers l’imaginaire de ce que l’on projette sur les sons que l’on entend. On vient forcément projeter des gens, des sons, soit à la première personne, soit parce qu’on imagine un personnage. Il y a une sorte de lâcher-prise possible, quand on est dans le noir. C’est un endroit où le corps est là, mais comme au repos : on peut l’oublier et laisser l’esprit ou l’émotion surgir. La Chambre Noire agit au cœur de notre inconscient, en investiguant des composantes plus animales, organiques et profondes du récit, qui sont en nous.
UN PROTOCOLE, UNE QUÊTE PRÉCISE POUR OUVRIR LE RÉCIT
«La Chambre Noire nous met dans un état tel de méditation, de transe, une sorte d’état second qui nous rend un peu dingues.»
J’entre comme subitement dans la Chambre Noire et, je suis en une seconde, en boule, à me toucher le front dans un mouvement régressif, fœtal, comme un grand bébé bizarre. C’est un peu étrange, mais c’est une bonne façon d’être à la fois complètement en moi et, en même temps, de ressentir complètement les autres autour. L’expérience est très intense car « remuante ». À partir du protocole nous amenant à savoir ce que l’on va y chercher précisément, la Chambre Noire nous plonge dans un état tel de méditation, transe, une sorte d’état second qui nous rend un peu dingues.

NOURRIR LA COMPOSITION DU RÉCIT, À TRAVERS LE SON
«L’expérimentation par le son, à travers la fabrication d’une bande sonore libre et exploratoire nous permet de nous réunir, de nous relier.»
Avec la Chambre Noire, l’expérimentation par le son, à travers la fabrication d’une bande sonore libre et spontanée, nous permet de nous réunir, de nous relier. Une empreinte sonore collective à un instant «t» dans la composition du récit qui nous permet d’approfondir, assez subliminalement.

L’ÉCOUTE INTIME ET PARTAGÉE DES POTENTIALITÉS DU RÉCIT
«Dans la Chambre Noire, on a un personnage en tête et on devient ce personnage, précisément.»
Dans la Chambre Noire, l’expérience est plus intime. Grâce à l’écoute attentive dans le noir, l’esprit est comme submergé par l’émotion et vagabonde, dans le cadre d’une réflexion consciente sur les potentialités du récit. On a un personnage en tête et on devient ce personnage, précisément. On ressent une même force qui émane de la part de nos co-auteur·trice·s avec qui on a débuté l’expérience, depuis la Grotte. Nous sommes à la fois sous contrôle du collectif et, dans la confiance, pour vivre pleinement cet état de création
THE PLATEAU
LE RÉCIT TEL UN GRAND TABLEAU VIVANT À VIVRE ET À EXPLORER
«Le Plateau nous permet de visualiser et de relier les personnages, les spatialiser dans les temps du récit.»
Dans la Grotte, nous sommes au stade de la manipulation de papier, de choses un peu conceptuelles. Sur le Plateau, on passe à l’incarnation, avec la sélection des objets par chacun·e et en trio puis en faisant intervenir des contributeur·trice·s pour incarner ces personnages. En plaçant les objets et les témoins-figurants dans l’espace et en les reliant avec des cordelettes entre eux pour voir les liens: le Plateau nous permet de visualiser les personnages et de les spatialiser dans les temps du récit, en établissant leurs positionnements dans le présent ou le passé ou le futur de la narration: un grand tableau vivant à explorer et à déployer!

LA COMPOSITION DU RÉCIT PAR LE MOUVEMENT
«Sur le Plateau, on construit un monde en direct, en commun.»
Sur le Plateau, on réussit, très rapidement, à nous connecter, à trois cerveaux, avec cette impression rare de véritablement développer un imaginaire, ensemble: construire un monde en direct, en commun. Au sein du Plateau, on passe par-dessus cette espèce de pudeur ou de barrière qui nous empêche d’extérioriser et donc d’incarner. En explorant avec le corps, le récit devient beaucoup plus spontané, plus libre, plus organique. L’imaginaire collectif est ultra-stimulé quand nous sommes en mouvement et quand on joue. Le Plateau a cette approche ludique, essentielle, dans cette phase précise de recherche du récit.

LA FABRIQUE DES MONDES
ÊTRE DISPONIBLE POUR LA GÉNÉRATION DU RÉCIT
«C’était un grand moment joyeux et ludique, d’exploration.»
Les différents dispositifs expérimentaux de LA FABRIQUE DES MONDES composent un grand moment joyeux, un moment de jeu, d’abord parce que je suis complètement disponible pour ce moment. Nous sommes toutes et tous dans cet état d’esprit très joyeux et ludique: nous sommes prêt·e·s à explorer ce qui va se générer
LA GERMINATION DU RÉCIT, ÉTAPE APRÈS ÉTAPE
«La petite graine plantée dans la Grotte germe dans la Chambre Noire puis, sur le Plateau, on y trouve l’incarnation et donc la possibilité d’un film»
La petite graine plantée dans la Grotte germe dans la Chambre Noire. Elle devient un personnage et de l’émotion surtout, sans savoir exactement où se fixer mais en étant bien présents et vivants. Et sur le Plateau, on y trouve l’incarnation et donc la possibilité d’un film, parce que c’est l’endroit où on peut déployer les composantes du récit

TRAVAILLER UN RÉCIT COMME UNE SUCCESSION D’EXPÉRIENCES PHYSIQUES
«C’est très rare d’avoir la possibilité de travailler un récit avec le corps.»
C’est très rare d’avoir la possibilité de travailler un récit, dans le cadre de ces dispositifs expérimentaux, notamment avec le corps. On a, en effet, peu l’occasion d’avoir à disposer d’un espace dédié et surtout d’un temps consacré. Dans ma pratique de scénariste, on ne me donne pas la possibilité d’avoir une Chambre Noire si j’en ai envie, ni de pratiquer le théâtre d’objets alors que l’ensemble m’aiderait à incarner en tableau vivant, dès le début d’une idée. LA FABRIQUE DES MONDES aide à se raconter intérieurement d’abord l’histoire et à avoir tous les jalons, collectivement, du récit qui vont devenir les poignées d’accroche incontournables car indispensables pour le film ou la série qu’on va déployer ensuite.