Gabrielle Brady
Gabrielle Brady est australienne, elle réalise des films hybrides, et travaille en collaboration créative avec les protagonistes de ses films. Son dernier long-métrage The wolves always come at night a récemment fait sa première mondiale au sein de la compétition Platform au TIFF et sera présenté en compétition au London Film Festival, au Marrakech International Film Festival, à l’IDFA et à Zurich.
Son premier film primé Island of the hungry ghosts (2019) a été projeté dans plus de quatre-vingt festivals de cinéma internationaux et est sorti en salles aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Australie. Le film a remporté plus de trente prix internationaux, dont le prix du Meilleur Documentaire au Tribeca Film Festival, le prix Byens-Chagoll au Visions du Réel, le prix des Droits de l’Homme à l’IDFA, le Grand Prix du Jury au Mumbai Film Festival, et a été nommé pour un Independent Spirit Award. Brady a étudié la réalisation de documentaires à La Escuela Internacional de Cine à Cuba.
— Dans le cadre de sa 5ème saison – l’équipe du StoryTANK a souhaité tenter une nouvelle expérience, sous la houlette de 6 chercheurs captivés et captivants. Il s’est agi de tester et filmer le surgissement d’idées de récits dans des dispositifs expérimentaux créés par LA FABRIQUE DES MONDES, dispositif unique en Europe qui se construit au Groupe Ouest depuis 2023, sous l’égide du Ministère de la Culture français. L’expérience a été proposée à 6 scénaristes ou cinéastes, venus de 6 pays d’Europe. Le StoryTANK permet ici d’explorer et éclairer la pratique.
Décryptage, ci-dessous, par Gabrielle Brady, au fil de son retour d’expériences.
LA GROTTE
LE RÉCIT : UN TRAVAIL MANUEL
«La Grotte est comme une sorte de corridor, un espace physique qui incite les idées à avancer.»
J’envisage la Grotte comme un endroit où l’on peut tout déconstruire, tout poser, et ensuite, le processus de fabrique du récit s’amorce, par le mouvement autour. La Grotte est comme une sorte de corridor, un espace physique qui incite les idées à avancer. Lorsqu’on est devant un écran, on fait face uniquement à ce que l’on a, à ce moment précis. C’est alors très figé, comme si nous étions nous-mêmes scénaristes, rigides avec souvent un blocage: le “syndrome de la page blanche”. La Grotte permet de déployer une véritable dynamique créative, en amenant de vieilles idées et des idées neuves pour en extraire l’essence et, à partir de là, construire le récit. Les éléments analogiques le nourrissent. Tout participe à construire un pan d’histoire totalement en lien et en pertinence avec le récit. L’écriture devrait sans doute être un travail manuel et c’est ce que permet la Grotte.

LA CHAMBRE NOIR
LE RÉCIT, UNE EXPLORATION INDIVIDUELLE DANS LE COLLECTIF
«La Chambre Noire m’a fait penser à un rêve collectif, dans lequel on est tou·te·s connecté·e·s, tout en vivant chacun son expérience.»
Dans la Chambre Noire, le noir complet, en position allongée: on réagit, non pas à ce que l’on voit, mais seulement à ce que l’on imagine. Tel un rêve collectif, nous sommes connecté·e·s, tout en répondant chacun·e aux stimuli, à notre manière, et on écoute ensuite l’expérience vécue par les autres, tout en ayant vécu sa propre expérience. Très proche de l’expérience de la transe, la Chambre Noire se rapproche de celle du cinéma dans le sens où l’ensemble des moments charnières ne sont pas seulement amenés par la narration, ni même par un personnage, mais tout simplement captivants, sans forcément d’explication. Quand on est debout, on est dans une position de préparation et de performance. Quand on entre dans la Chambre Noire, on peut s’allonger, tout en étant dans un état très actif, on réagit alors précisément aux sons, aux données et aux idées et, apparaissent des séquences précises de scènes ou d’incarnations. On s’extrait de nos corps pour pouvoir devenir quelqu’un d’autre et se glisser dans la peau d’un personnage. Ensuite, en écoutant les ressentis des autres, on connecte ensemble des fragments de visions communes. Le partage était vraiment important et, d’une certaine manière, cela nous a aidés à sortir du dispositif. Au moment où nous allumons, de nouveau, la lumière, la sortie se fait en douceur. Je pense n’avoir jamais vécu une expérience aussi libératrice dans mon travail de développement créatif. C’est vraiment profond.
LE PLATEAU
LE CHAOS POUR DÉCOMPOSER LE RÉCIT
«C’était absolument fascinant ce que l’on peut construire comme récit en peu de temps, avec de tout petits éléments, simples, voire banals.»
C’est absolument fascinant ce que l’on peut construire en peu de temps, avec de tout petits éléments, simples, voire banals. On décrit un objet de manière très frontale: qu’est-ce que c’est, de quelle couleur est-il: c’est comme un fil qui se déroule lentement jusqu’à un moment donné, où deux directions différentes émergent. Je ne sais pas si le mot «explosif» convient, mais c’est comme si tout explose au sein du Plateau, et ensuite, on ramasse les morceaux pour les remettre ensemble! Une sorte de chaos total qui se déroule dans un espace avec témoins, et plusieurs situations chaotiques. Un personnage est interviewé et les auteur·trice·s tentent de donner du sens à différents espaces-temps pour ce personnage qui a plusieurs facettes… Du chaos, naissent de très profondes connexions pour le récit.

LA FABRIQUE DES MONDES
L’INATTENDU DANS LA COMPOSITION DU RÉCIT
«Dans ces espaces liminaux de LA FABRIQUE DES MONDES conçus comme des paysages de rêve: tout peut arriver.»
Quand on s’assoit et que l’on écrit, on contrôle tout et on se prend pour le dieu de notre propre scénario! Alors que dans ces espaces liminaux de LA FABRIQUE DES MONDES conçus comme des paysages de rêve: tout peut arriver. C’est un exercice très mental de questionner la manière dont on souhaite incarner nos personnages, or avec le corps, on peut se perdre, on peut trouver d’autres manières de faire. En conjuguant le corps, la pensée et l’espace dans ce contexte, des inconforts se créent qui provoquent des perturbations et des révélations.
