3. Le Plateau
Le Plateau est le troisième dispositif expérimental. Afin de tenter de donner forme à ce qui a émergé via la Grotte et la Chambre Noire, nous avons décidé de tenter une expérience dans un espace scénique : le Plateau, en réunissant tous les auteur·trice·s du groupe impliqué.
À travers un travail basé sur une logique de théâtre d’objets et d’improvisation, les équipes d’auteur·trice·s peuvent construire leurs mondes en s’appuyant sur les visages et les présences corporelles des auteur·trice·s réuni·e·s.
Ces tableaux humains fictionnels, ces incarnations et ces interactions humaines vibrantes, créent un sentiment de réalité très puissant.
— Dans le cadre de sa 5ème saison – l’équipe du StoryTANK a souhaité tenter une nouvelle expérience, sous la houlette de 6 chercheurs captivés et captivants. Il s’est agi de tester et filmer le surgissement d’idées de récits dans des dispositifs expérimentaux créés par LA FABRIQUE DES MONDES, dispositif unique en Europe qui se construit au Groupe Ouest depuis 2023, sous l’égide du Ministère de la Culture français.
L’expérience a été proposée à 6 scénaristes ou cinéastes, venus de 6 pays d’Europe. Le StoryTANK permet ici d’explorer et éclairer la pratique.
Décryptage, ci-dessous, par les scénaristes et les chercheurs, au fil de leurs retours d’expérience.

UNE CONSCIENCE DE LA THÉÂTRALITÉ
« Être touché par la théâtralité du récit »
Avec le Plateau, il y a une forme de théâtralité du récit, plus précisément : une conscience collective de la théâtralité de l’histoire en composition qui m’a énormément touché. – Marcel Beaulieu
FAIRE SURGIR SON PERSONNAGE POUR CONFRONTER LE RÉCIT
« Sur le Plateau, je suis immergé dans ce personnage qui me submerge »
Beaucoup d’auteur·trice·s ont peur d’affronter leurs personnages. Il y a, en nous, beaucoup de personnages, il y en a mille ! Des personnages extrêmes, violents, doux, des amoureux·se·s, des déçu·e·s. Lors du Plateau, on fait surgir ces personnages. Ces personnages que l’on a du mal à regarder en face, que l’on ne veut pas toujours entendre. Là, le personnage est devant moi, et ça me touche. Je ne suis plus juste bouleversé, je suis immergé dans ce personnage, et il me submerge. – Marcel Beaulieu
LA MÉMOIRE COLLECTIVE POUR COMPOSER ET PARTAGER LE RÉCIT
« Chaque personnage est issu de milliers de personnages qui ont envie de raconter des choses, à travers nous »
Avec le Plateau, c’est un personnage qui surgit instantanément, au-delà de moi. La mémoire collective est fondamentale. Chaque personnage est issu de milliers de personnages qui ont envie de raconter des choses, à travers nous. Ce qui m’a bouleversé lors du Plateau, ce sont ces objets qui ont leur propre vie, qui ont eu leur vie. Et à chacune, maintenant, de composer un récit avec ce qui a été ramené de je ne sais où, d’un passé millénaire ou d’un passé récent. Il y a, alors, une vraie connexion avec le personnage et une irrésistible envie de voir, d’observer, de vivre et de partager : comment cette histoire va être appréhendée par les autres… – Marcel Beaulieu
TOUCHER LE RÉCIT QUI NOUS DÉPASSE
« La texture des choses, c’est comme la texture des idées »
Sur le Plateau, on bouge dans l’espace, à travers notamment des allers-retours, en marchant : on a la sensation de faire partie de quelque chose de plus grand, avec la possibilité de toucher des éléments et, de voir certains de ces éléments communiquer avec nous. C’est comme quand on voit un arbre qui est très beau, on a envie de passer la main dessus pour toucher, pour sentir la texture. La texture des choses est comme la texture des idées. – Massimiliano Nardulli
LA COMPOSITION DU RÉCIT À L’UNISSON
« Le Plateau : la plus collective et collaborative des trois expériences »
Le Plateau est, certainement, la plus collective et collaborative des trois expériences. On a réussi à se compléter, avec nos différentes visions, de manière très naturelle. Et même si nous avons suivi un fil rouge guidé par l’un d’entre nous : on était à l’unisson. L’orchestre jouait à l’unisson, on était très bien accordés ! Massimiliano Nardulli

L’OBJET POUR DÉCUPLER L’IMAGINATION
« L’objet oblige ! Il a une connexion directe au monde réel et au récit en construction »
Il est passionnant de voir comment un petit détail peut vraiment changer beaucoup de choses et, ainsi, créer des possibilités. Sur le Plateau, c’est comme entrer à nouveau dans la Chambre Noire, en pleine lumière, avec du monde autour. L’objet oblige, pas forcément intellectuellement, à être pragmatique et à générer des éléments narratifs précis, avec une connexion directe au monde réel ou au passé ou au futur du récit en composition. Utiliser cet objet et l’intégrer au récit est un moyen de déployer d’autres pistes. Le Plateau nous permet d’aller pêcher, en paix et collectivement, dans des recoins de soi-même, au sein de souvenirs, d’ idées. C’est beaucoup d’imagination décuplée. – Massimiliano Nardulli
L’IMPROVISATION COMME UNE RUPTURE : UNE FORCE DÉMULTIPLIÉE PAR LA CRÉATION
« Rien n’est imposé et cela laisse la possibilité d’improviser »
Le Plateau donne la possibilité d’entrevoir des choses, d’imaginer et de jouer avec ce côté imprévu, essentiel. Au sein du Plateau, on peut nous demander ou décider nous-même de déclencher une action, différente ou similaire à celles des autres. Rien n’est imposé et cela laisse la possibilité d’improviser. L’improvisation est toujours synonyme de créativité et de possibilités : une sorte de rupture avec notre système de raisonnement, qui crée une force démultipliée de création, de possibilités.
– Massimiliano Nardulli
LE RÉCIT TEL UN GRAND TABLEAU VIVANT À VIVRE ET À EXPLORER
« Le Plateau nous permet de visualiser et de relier les personnages, les spatialiser dans les temps du récit »
Dans la Grotte, nous sommes au stade de la manipulation de papier, de choses un peu conceptuelles. Sur le Plateau, on passe à l’incarnation, avec la sélection des objets par chacun·e et en trio puis en faisant intervenir des contributeur·trice·s pour incarner ces personnages. En plaçant les objets et les témoins-figurants dans l’espace et en les reliant avec des cordelettes entre eux pour voir les liens : le Plateau nous permet de visualiser les personnages et de les spatialiser dans les temps du récit, en établissant leurs positionnements dans le présent ou le passé ou le futur de la narration : un grand tableau vivant à explorer et à déployer ! – Violette Garcia

LA COMPOSITION DU RÉCIT PAR LE MOUVEMENT
« Sur le Plateau, on construit un monde en direct, en commun »
Sur le Plateau, on réussit, très rapidement, à nous connecter, à trois cerveaux, avec cette impression rare de véritablement développer un imaginaire, ensemble : construire un monde en direct, en commun. Au sein du Plateau, on passe par-dessus cette espèce de pudeur ou de barrière qui nous empêche d’extérioriser et donc d’incarner. En explorant avec le corps, le récit devient beaucoup plus spontané, plus libre, plus organique. L’imaginaire collectif est ultra-stimulé quand nous sommes en mouvement et quand on joue. Le Plateau a cette approche ludique, essentielle, dans cette phase précise de recherche du récit. Violette Garcia
L’INFINI COMME FONDEMENT DU RÉCIT
« Sur le Plateau, comme nous pouvons inventer ce qui a du sens pour nous, nous nous sommes ouvert·e·s à des possibilités infinies »
Quand j’ai étudié la psychologie, j’ai suivi un cours sur la thérapie par le Jeu de sable, qui se base sur la théorie des symboles de Jung. La table que nous disposons pour initier Le Plateau m’en rappelle la configuration. Au début, on dispose des objets tout en essayant de donner du sens aux choses et ce n’est pas évident. Or, via la thérapie par le Jeu de sable, cela fonctionne. Ainsi, un bout de bois peut devenir un soldat ou une groseille peut devenir de l’or, les possibilités sont infinies. Et comme nous pouvons inventer ce qui a du sens pour nous, nous nous ouvrons à d’infinies possibilités. Les accessoires nous donnent des limites, pour ne pas se perdre dans l’infini des possibles de l’histoire, et cela donne forme au récit.
– Raitis Ābele

JOUER POUR COMPOSER LE RÉCIT, EN FIL ROUGE
« Avec nos propres mouvements : nous nous déplaçons avec ces objets et les personnages prennent vie »
Sur le Plateau, nous interrogeons les objets par rapport à ce que nous avons rapporté et assemblé dans la Cave et nourri dans la Chambre noire. Le processus de connexion initié dans la Grotte nous permet de co-créer, en fil rouge. Ces objets aident à rendre ces personnages comme physiques et à imaginer plus d’interactions avec les autres. Avec nos propres mouvements : nous nous déplaçons avec ces objets et les personnages prennent vie. Du début du Plateau à la fin, nous retrouvons un sentiment de jeu rare, et grâce à la participation de tout le monde, il n’y a plus de leader ou d’auteur unique. Nous co-créons toutes et tous ensemble, en donnant vie à une histoire commune. – Isla Badenoch
LE CHAOS POUR DÉCOMPOSER LE RÉCIT
« C’était absolument fascinant ce que l’on peut construire comme récit en peu de temps, avec de tout petits éléments, simples, voire banaux »
C’est absolument fascinant ce que l’on peut construire en peu de temps, avec de tout petits éléments, simples, voire banaux. On décrit un objet de manière très frontale : qu’est-ce que c’est, de quelle couleur est-il : c’est comme un fil qui se déroule lentement jusqu’à un moment donné, où deux directions différentes émergent. Je ne sais pas si le mot “explosif” convient, mais c’est comme si tout explose au sein du Plateau, et ensuite, on ramasse les morceaux pour les remettre ensemble ! Une sorte de chaos total qui se déroule dans un espace avec témoins, et plusieurs situations chaotiques. Un personnage est interviewé et les auteur·trice·s tentent de donner du sens à différents espaces-temps pour ce personnage qui a plusieurs facettes… Du chaos, naissent de très profondes connexions pour le récit. – Gabrielle Brady

L’OBJET ET LE CORPS COMME LIANTS DU RÉCIT
« Le cerveau intègre l’objet dans son organisme, comme un organe, comme un prolongement du corps »
Au niveau de l’inscription corporelle de l’esprit – quand tu donnes une canne à un aveugle, le bout de son corps s’arrête au caoutchouc du bout de la canne. C’est-à-dire que le cerveau va intégrer l’objet dans son organisme, comme un organe, comme un prolongement du corps. C’est la cognition étendue et incarnée. Yves Sarfati

Des récits pour nous projeter, pour nous ouvrir, pour nous relier, pour nous régénérer, des récits pour comprendre.