Raitis Ābele
Raitis Ābele est un cinéaste letton, né un jour enneigé d’octobre 1983 à Riga, en Lettonie. Il a étudié la réalisation à la New York Film Academy et a ensuite obtenu une maîtrise en psychologie clinique à l’université de Lettonie, où il est actuellement doctorant. Raitis collabore avec ses frères Lauris (réalisateur) et Marcis (directeur de la photographie), formant ainsi un trio créatif. En 2014, Raitis et Lauris ont coréalisé Castratus the Boar, qui a remporté le Grand Prix du festival du court métrage de Tampere en 2015. Son long métrage Troubled Minds (2021) explore la santé mentale et l’identité artistique. Raitis compose et joue également dans les groupes de rock Soundarcade et Sonntags Legion, mêlant ses connaissances artistiques et psychologiques à l’ensemble de son travail.
— Dans le cadre de sa 5ème saison – l’équipe du StoryTANK a souhaité tenter une nouvelle expérience, sous la houlette de 6 chercheurs captivés et captivants. Il s’est agi de tester et filmer le surgissement d’idées de récits dans des dispositifs expérimentaux créés par LA FABRIQUE DES MONDES, dispositif unique en Europe qui se construit au Groupe Ouest depuis 2023, sous l’égide du Ministère de la Culture français.
L’expérience a été proposée à 6 scénaristes ou cinéastes, venus de 6 pays d’Europe. Le StoryTANK permet ici d’explorer et éclairer la pratique.
Décryptage, ci-dessous, par Raitis Ābele, au fil de son retour d’expériences.
LA GROTTE
ÊTRE DANS LE PRÉSENT POUR COMPOSER LE RÉCIT
«La force de la Grotte est d’être un lieu à part entière, un peu comme une église, un centre de méditation: un endroit où l’on pratique quelque chose qui sorte de l’imaginaire du quotidien.»
J’aime que l’histoire en élaboration ne soit pas linéaire. Tout est, en quelque sorte, tout à la fois: ce qu’il y a de suspendu en haut, ce qu’il y a en bas, ce qu’il y a sur les murs. Dans la Grotte, j’ai l’impression d’être hors du temps. La force de la Grotte est d’être un lieu à part entière, un peu comme une église, un centre de méditation: un endroit où l’on pratique quelque chose qui sorte de l’imaginaire du quotidien. Lorsque l’on s’assoit à une table, on n’est pas dans le présent, on est dans le passé. Tout a déjà eu lieu. Et d’une certaine manière, lorsque l’on écrit, on essaie de se souvenir. Ici, debout, en mouvement, ensemble: on est dans le présent.

CONSTRUIRE LE RÉCIT, AVANT MÊME DE LE RÉFLÉCHIR
«Dans la Grotte, nous sommes comme des guêpes, en train de donner forme à un nid.»
Dans la Grotte, nous sommes comme des guêpes, en train de donner forme à un nid. Nous prenons des matériaux, les mettons sur les murs, et pas seulement: nous construisions quelque chose. On a vraiment cette sensation de construire, avant même de réfléchir. On peut prendre une photo qui rappelle quelque chose et la poser ici ou là… Nous créons un lien, de suite, avec nos co-auteur·trice·s, lorsque nous marchons et que nous parlons en même temps.
ARCHITECTURER LE RÉCIT
«Dans la Grotte, on définit les frontières du récit.»
Dans la Grotte, on délimite les frontières du récit initié. Parce que lorsqu’on a créé la graine du récit en amont, les possibilités sont, ensuite, infinies. Au sein de la Grotte, on essaie de poser les cadres: où sont les murs, le sol… Et nous verrouillons l’ensemble, nous définissons collectivement les limites pour nos esprits qui vagabondent. En réalité, ce n’est pas “peupler” la Grotte avec toujours plus de matériaux, mais le faire avec ces matériaux initiaux. On a établi les frontières où l’on serait tous les trois, en tant que co-auteurs.
LA CHAMBRE NOIRE
LE RÉCIT, AU CENTRE
«La Chambre Noire comme quand nous étions enfants: à nous raconter des histoires de fantômes.»
La Chambre Noire n’est pas une salle noire comme dans l’industrie cinématographique – un grand plateau de tournage carré avec des murs noirs, mais plutôt un endroit où nous pouvons nous asseoir, nous allonger. Il y a un centre et, nous sommes autour. C’est comme être avec des chamanes Saami dans leur igloo, en Norvège, avec des tambours, ou comme quand nous étions enfants: à nous raconter des histoires de fantômes.

REGARDER UN RÉCIT EN COMPOSITION, PAR LE SON
«La Chambre Noire pour passer à un autre mode de perception où les images sont produites, non pas par nos yeux mais, en profondeur.»
Nous avons d’abord écouté des sons que nous avions choisis au hasard, avant de les relier au récit que l’on génère. L’écoute dans l’obscurité nécessite une adaptation à ce noir, pour passer à un autre mode de perception où les images sont produites non pas par nos yeux mais, en profondeur. Après avoir passé davantage de temps dans l’obscurité, on se laisse surprendre par ce que l’on voit, c’est un peu comme un voyage psychédélique où les images arrivent toutes seules et, tout ce que l’on peut et doit faire: c’est regarder. Moins on sent son corps, plus des images apparaissent et des émotions surgissent.
LE PLATEAU
L’INFINI COMME FONDEMENT DU RÉCIT
«Sur le Plateau, comme nous pouvons inventer ce qui a du sens pour nous, nous nous sommes ouvert·e·s à des possibilités infinies»
Quand j’ai étudié la psychologie, j’ai suivi un cours sur la thérapie par le Jeu de sable, qui se base sur la théorie des symboles de Jung. La table que nous disposons pour initier Le Plateau m’en rappelle la configuration. Au début, on dispose des objets tout en essayant de donner du sens aux choses et ce n’est pas évident. Or, via la thérapie par le Jeu de sable, cela fonctionne. Ainsi, un bout de bois peut devenir un soldat ou une groseille peut devenir de l’or, les possibilités sont infinies. Et comme nous pouvons inventer ce qui a du sens pour nous, nous nous ouvrons à d’infinies possibilités. Les accessoires nous donnent des limites, pour ne pas se perdre dans l’infini des possibles de l’histoire, et cela donne forme au récit.
