Isla Badenoch
Isla Badenoch est une cinéaste et artiste vivant dans les régions rurales frontalières du RoyaumeUni et d’Irlande. Elle s’intéresse aux communautés cachées et aux rites de passage liés à l’environnement naturel. Ses films défient les stéréotypes sur les exclus de la société. Le travail d’Isla lui a valu d’être sélectionnée comme Star of Tomorrow 2024 par Screen International.
Ses films ont été sélectionnés dans de nombreux festivals internationaux pour les OSCAR et les BAFTA , ont été présélectionnés pour un BIFA et diffusés sur BBC4, Short of the Week, WaterBear et Minute Shorts. Isla développe actuellement son premier long métrage narratif, NOT DROWNING, soutenu par le et Ffilm Cymru.
— Dans le cadre de sa 5ème saison – l’équipe du StoryTANK a souhaité tenter une nouvelle expérience, sous la houlette de 6 chercheurs captivés et captivants. Il s’est agi de tester et filmer le surgissement d’idées de récits dans des dispositifs expérimentaux créés par LA FABRIQUE DES MONDES, dispositif unique en Europe qui se construit au Groupe Ouest depuis 2023, sous l’égide du Ministère de la Culture français.
L’expérience a été proposée à 6 scénaristes ou cinéastes, venus de 6 pays d’Europe. Le StoryTANK permet ici d’explorer et éclairer la pratique.
Décryptage, ci-dessous, par Isla Badenoch, au fil de son retour d’expériences.
LA GROTTE
RESSENTIR LE RÉCIT POUR LE CARTOGRAPHIER
«Dans la Grotte, on commence à donner du sens au chaos.»
Avec la Grotte, on nous offre soudainement un petit espace de jeu, un bac à sable presque, avec ces petits éléments que l’on peut utiliser pour inventer des histoires: des photographies générées par l’IA, à partir de mots que l’on a nous-mêmes générés, à partir d’une graine d’idée et également des images de magazines, et c’était comme si on entrait avec un chaos de directions multiples. Et on commence à donner du sens à ce chaos, en disposant les éléments récoltés puis, pour une raison quelconque, on finit par les suspendre au centre. On parvient à cartographier l’espace. On se demande, alors, ce qu’il y a sous la scène, qui sont ces gens, ce qui ouvre des possibilités que l’on a pas si on travaille, simplement, autour d’une table ou à l’aide d’un mur. On ressent tout à l’intérieur de cet espace.

PENSER PHYSIQUEMENT LE RÉCIT
«Pouvoir physiquement faire le tour de l’histoire plutôt que de la voir de manière linéaire et plate aide énormément à faire progresser le récit.»
Dans notre histoire, il y a des guêpes, et nous les suspendons. C’est presque comme si nous pouvions incarner ce que cela ferait d’être dans le public de la salle de concert où nous avions localisé le récit, entouré de guêpes. Cela nous permet de penser au comportement des personnages dans le public, à ce que leurs comportements évoquent sur eux: on passe d’une idée abstraite à des personnages réels avec des personnalités et des histoires. À l’intérieur, nous ne faisons pas de pause pour revenir en arrière. Pouvoir physiquement faire le tour de l’histoire plutôt que de la voir de manière linéaire et plate a beaucoup aidé à faire progresser le récit.
DÉPLOYER LE RÉCIT DANS L’ESPACE
«La Grotte nous a permis à tou·te·s d’avoir de l’autonomie dans la co-création de l’histoire.»
Je vais dans la Grotte avec deux autres scénaristes, et aucun de nous trois ne sait vraiment comment nous allons collaborer. Il n’y a pas de leader désigné, il y a suffisamment d’espace pour nous toutes et tous. Chacun de nous tient son rôle, en expérimentant ce qui se passerait si on place ceci ici, si on regarde là-bas et, l’un d’entre nous propose quelque chose qui fait le lien. La Grotte nous permet une autonomie dans la co-création de l’histoire: ce qui rend l’expérience rare car unique. Dans la Grotte, on essaie, ensemble, d’envisager une idée véritablement commune et, le fait d’avoir un espace en trois dimensions nous y aide.
LA CHAMBRE NOIRE
LE RÉCIT COMME TEXTURE ÉMOTIONNELLE
«Dans la Chambre Noire, les sentiments des personnages sont devenus une quête»
Dans la Chambre Noire, contrairement à la Grotte (très visuelle), l’usage unique du son la rend totalement sensorielle. S’asseoir en cercle, dans la Chambre Noire, provoque une sensation physique assez primitive, comme si nous étions assis·e·s autour d’un feu imaginaire, ensemble. On perd la notion de soi, ne pouvant rien voir et, nous nous laissons envahir uniquement par le son: en le ressentant plus qu’en l’écoutant. C’est à la fois terrifiant et incroyable, car soudain, ces sons créent une texture émotionnelle, à partir des associations avec les personnages et les idées germées dans la Grotte. Soudain, la Chambre Noire permet une imagination accrue. Et les sentiments des personnages deviennent une quête: la tristesse et la douleur deviennent intenses, par exemple et, n’étaient, alors, pas présentes dans la Grotte.

LE PLATEAU
JOUER POUR COMPOSER LE RÉCIT, EN FIL ROUGE
«Avec nos propres mouvements: nous nous déplaçons avec ces objets et les personnages prennent vie.»
Sur le Plateau, nous interrogeons les objets par rapport à ce que nous avons rapporté et assemblé dans la Cave et nourri dans la Chambre noire. Le processus de connexion initié dans la Grotte nous permet de co-créer, en fil rouge. Ces objets aident à rendre ces personnages comme physiques et à imaginer plus d’interactions avec les autres. Avec nos propres mouvements: nous nous déplaçons avec ces objets et les personnages prennent vie. Du début du Plateau à la fin, nous retrouvons un sentiment de jeu rare, et grâce à la participation de tout le monde, il n’y a plus de leader ou d’auteur unique. Nous co-créons toutes et tous ensemble, en donnant vie à une histoire commune.

LA FABRIQUE DES MONDES
LA COMPOSITION DU RÉCIT COMME UNE FOUILLE ARCHÉOLOGIQUE
«C’est presque comme si l’histoire était déjà là: tout ce qu’il faut, c’est la découvrir.»
Au fi l de LA FABRIQUE DES MONDES, nous communiquons au-delà des mots, plutôt que d’essayer d’expliquer. Cela nous permet de jouer différents rôles dans l’histoire et, de la vivre ensemble. C’est presque comme si l’histoire était déjà là: tout ce qu’il faut, c’est la découvrir! Nous l’explorons, l’externalisons à travers ces images, ces sons et ces espaces précis.
EXPÉRIMENTER INDIVIDUELLEMENT ET COLLECTIVEMENT LE RÉCIT
«Je souhaite, désormais, imaginer mes histoires de manière tridimensionnelle, en sortant le nez de l’ordinateur, en utilisant la physicalité et en me déplaçant dans l’espace.»
La succession des dispositifs de LA FABRIQUE DES MONDES démontre ce que l’espace peut apporter à la composition d’un récit. Je souhaite désormais imaginer mes histoires de manière tridimensionnelle, en sortant le nez de l’ordinateur, en utilisant la physicalité et, en me déplaçant dans l’espace pour pouvoir soit expérimenter le récit en tant que personnage, soit percevoir des aspects auxquels je n’aurais peut-être pas pensé autrement. Nos cerveaux veulent résoudre, trouver des réponses uniquement si on nous permet de jouer, découvrir et changer notre manière de penser.