Marcel Beaulieu
Marcel Beaulieu est un scénariste canadien, avec plus de quarante ans d’expérience. Il a écrit ou coécrit une soixantaine de scénarios, presque tous pour le grand écran. Il a remporté le prix du meilleur film suisse de l’année pour “Coeur Animal” de Séverine Cornamusaz, le prix du meilleur scénario au Festival du Film de Namur pour “Looking for Alexander” de Francis Leclerc et le prix du meilleur scénario au Fespaco en 2015 pour “Fadhma N’Soumer” de Belkacem Hadjadj. Les films auxquels il a participé ont remporté plus de 200 prix nationaux ou internationaux, dont un Golden Globe pour “Farinelli” de Gérard Corbiau. Il a également animé des ateliers de scénarisation à travers le monde, de Yaoundé à Alger, au Burkina Faso, au Mali, en Suisse, en République du Congo, à Beyrouth, Le Caire et Marrakech. Il est consultant pilier du Groupe Ouest depuis 2007.
— Dans le cadre de sa 5ème saison – l’équipe du StoryTANK a souhaité tenter une nouvelle expérience, sous la houlette de 6 chercheurs captivés et captivants. Il s’est agi de tester et filmer le surgissement d’idées de récits dans des dispositifs expérimentaux créés par LA FABRIQUE DES MONDES, dispositif unique en Europe qui se construit au Groupe Ouest depuis 2023, sous l’égide du Ministère de la Culture français. L’expérience a été proposée à 6 scénaristes ou cinéastes, venus de 6 pays d’Europe. Le StoryTANK permet ici d’explorer et éclairer la pratique.
Décryptage, ci-dessous, par Marcel Beaulieu, au fil de son retour d’expériences.
LA CRÉATION, UNE EXPÉRIENCE UNIQUE : RÉFLEXIVE ET ABSOLUE
«La création, c’est la vie : un sentiment profond, celui de comprendre, de transmettre et de recevoir.»
Une des choses qui manque le plus dans la création, c’est la réflexion. Il faut toujours produire rapidement, instantanément, avec une nécessité de performance qui, pour moi, est contre-productive. Pour composer un récit, il faut une liberté d’explorer, de tenter des choses, de vérifier. Une liberté rare qui permet d’avoir une perspective, en générant une forme d’espoir dans ce que l’on pourrait atteindre.
LA GROTTE
LE RÉCIT : UN PARTAGE D’UNIVERS, UN PARCOURS COLLECTIF
«Travailler collectivement un récit, c’est accepter un chemin commun.»
Quand je travaille avec des auteur·trice·s, ce qui m’intéresse, c’est comment peut-on partager un univers, établir un parcours ensemble. On ne sait pas où l’on va arriver ensemble, ce n’est pas très grave: c’est l’acceptation du chemin exploratoire qui prime.

LA CHAMBRE NOIRE
RÉVÉLER LES MONDES INCONNUS DU RÉCIT
«La Chambre Noire est comme une hutte de sudation amérindienne : on oublie tout le superflu.»
La Chambre Noire est un endroit qui révèle. Dans la culture amérindienne, on fait des huttes de sudation: tu rentres dans un tipi complètement noir avec des braises qui font chauffer les pierres, qui nous font suer, mais dans le bon sens du terme. On n’a pas une impression de souffrance au niveau de la chaleur, on a l’impression qu’il y a plein de choses qui s’expulsent de nous et qui nous immergent dans des mondes que l’on ne connaît pas. La Chambre Noire nous emmène dans des mondes intérieurs et partagés que même l’auteur ne connaît pas, que l’on découvre en la pénétrant: une expérience extraordinaire. Dans la Chambre Noire, nous sommes obligés d’être avec soi-même et les personnes que l’on côtoie. On oublie ce qui est superficiel, le superflu. La Chambre Noire ouvre des possibilités immenses.
LA PERTE DE REPÈRES DE L’OBSCURITÉ POUR CHERCHER LA LUMIÈRE DU RÉCIT
«La Chambre Noire est un court-circuit entre la réalité et l’inconscience.»
Avec l’obscurité de la Chambre Noire, nous sommes obligés de chercher la lumière de quelque chose. On ne sait pas quoi. Nous sommes obligés de s’éclairer de l’intérieur et le personnage, se perdant dans un no man’s land est obligé de se dire : oui, j’ai deux jambes, j’ai deux bras, j’ai une tête. Mais qu’est-ce qu’il y a, à l’intérieur de nous? La Chambre Noire est un court-circuit entre la réalité et l’inconscience. Tout à coup, il y a un truc qui est en train de se passer, car on n’a plus de repères. La Chambre Noire t’oblige à entrer dans ce que tu es et dans tes propres impossibilités et dans toutes les perspectives qui peuvent arriver. Tu es confronté à toi même, et là, wow, c’est génial! Un auteur doit être confronté à ça !
LE PLATEAU
UNE CONSCIENCE DE LA THÉÂTRALITÉ
«Être touché par la théâtralité du récit.»
Avec le Plateau, il y a une forme de théâtralité du récit, plus précisément: une conscience collective de la théâtralité de l’histoire en composition qui m’a énormément touché.

FAIRE SURGIR SON PERSONNAGE POUR CONFRONTER LE RÉCIT
«Sur le Plateau, je suis immergé dans ce personnage qui me submerge.»
Beaucoup d’auteur·trice·s ont peur d’affronter leurs personnages. Il y a, en nous, beaucoup de personnages, il y en a mille! : des personnages extrêmes, violents, doux, des amoureux·se·s, des déçu·e·s. Lors du Plateau, on fait surgir ces personnages. Ces personnages que l’on a du mal à regarder en face, que l’on ne veut pas toujours entendre. Là, le personnage est devant moi et, ça me touche. Je ne suis plus juste bouleversé, je suis immergé dans ce personnage, et il me submerge.
LA MÉMOIRE COLLECTIVE POUR COMPOSER ET PARTAGER LE RÉCIT
«Chaque personnage est issu de milliers de personnages qui ont envie de raconter des choses, à travers nous.»
Avec le Plateau, c’est un personnage qui surgit instantanément, au-delà de moi. La mémoire collective est fondamentale. Chaque personnage est issu de milliers de personnages qui ont envie de raconter des choses, à travers nous. Ce qui m’a bouleversé lors du Plateau, ce sont ces objets qui ont leur propre vie, qui ont eu leur vie. Et à chacune, maintenant, de composer un récit avec ce qui a été ramené de je ne sais où, d’un passé millénaire ou d’un passé récent. Il y a, alors, une vraie connexion avec le personnage et une irrésistible envie de voir, d’observer, de vivre et de partager: comment cette histoire va être appréhendée par les autres…

LA FABRIQUE DES MONDES
LE RÉCIT, UNE COSMOGONIE COMMUNE
«Sans partage, il n’y a pas de récit.»
La Chambre Noire et le Plateau, partagés avec deux autres personnes, c’est un monde, un univers. Et il faut essayer, au-delà de la cosmogonie de chacun·e, essayer de comprendre, au-delà de nous réunir: ce que l’on peut partager. Avec les auteur·trice·s, j’aime partager, j’aime écouter, j’aime marcher avec eux.

ÉCRIRE EST UN DIALOGUE AVEC SOI-MÊME, À OUVRIR AVEC LES AUTRES.
«Il y a une forme de folie, une schizophrénie nécessaire dans la création.»
Sans folie, on fait des choses que tout le monde attend, que tout le monde veut. Cette folie est une schizophrénie. Écrire est un dialogue, que j’ai constamment avec moi-même, qui me permet de garder un équilibre. Pourquoi je ne trouve pas l’idée? Pourquoi je ne trouve pas la trajectoire du personnage? Pourquoi ? Parce que le problème est en moi, il n’est pas à l’extérieur. Il est toujours à l’intérieur de moi: le problème est dans ma tête et LA FABRIQUE DES MONDES agit exactement à cet endroit.
DÉPASSER SA PEUR POUR MOTIVER LE RÉCIT
«Avec LA FABRIQUE DES MONDES LA FABRIQUE DES MONDES, on se met à poil: on se jette à l’eau et nous nageons avec d’autres.»
J’avais une frousse terrible. J’ai toujours peur. Je crois que ça fait partie de ma nature. Et donc je suis obligé de me mettre à poil. Ah! On n’aime pas toujours son corps, on n’aime pas toujours qui on est. Et j’avoue que cette peur-là m’a motivé, parce que c’est comme quand on se jette à l’eau: j’étais obligé de nager et j’ai nagé avec les autres !

LA CONSTRUCTION D’UN RÉCIT EST UNE TRANSMISSION
«LA FABRIQUE DES MONDES génère une électricité cérébrale qui nous permet de nous raccorder aux autres et au récit.»
Je puise, au sein des dispositifs expérimentaux de LA FABRIQUE DES MONDES: des impressions, une forme d’électricité cérébrale qui me travaille, qui me parle et, qui me permet de me raccorder aux autres, de voir comment je peux transmettre l’énergie que j’ai pu en tirer. Parce que toute création est une question de transmission.